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Darstellende Künste Je pense que chacun ressentira des choses selon son vécu”, interview de Minuit

L’équipe de Minuit a répondu à nos questions lors de leur résidence chez nous
© Eric Engel

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En résidence dans la Black Box pendant 10 jours à la fin septembre, l’équipe de Minuit a répondu à nos questions sur la genèse du spectacle, les accidents heureux, les émotions et l’importance des contrastes en chacun de nous. Entretien. 

Crédit photos © Eric Engel

Est-ce que vous pouvez vous présenter ?

Grégoire Terrier : Je suis Grégoire Terrier, je suis musicien dans le projet MINUIT et compositeur pour des films et le spectacle vivant principalement. 

Sophie Raynal : Je m’appelle Sophie Raynal je suis dessinatrice dans le projet MINUIT. Ma spécialité c’est le direct. À travers plusieurs reportages, prises de notes et spectacles. 

Florence Kraus : Moi c’est Florence Kraus, je suis musicienne saxophoniste. Je fais beaucoup de lives dans plein de styles de musiques différentes. Je fais aussi beaucoup de spectacles où j’ai la particularité de construire aussi des objets sonores et des instruments avec des matériaux de récupération ou des objets qui ne sont pas prévus pour faire de la musique initialement. 

Coline Grandpierre : Je m’appelle Coline Grandpierre, je suis dessinatrice et ça fait un an que je me spécialise aussi dans le dessin en direct. Et à côté je fais plusieurs types de dessins, plus personnel ou d’illustrations, abstraits, des gravures…

Est-ce que vous pouvez nous parler de la genèse de MINUIT ? Est-ce que l’idée d’allier à la fois musique et dessin était là depuis le début ?

FK : Alors au départ de Minuit, Grégoire et moi avions fait un spectacle ensemble qui était un ciné concert où on avait créé toute la musique et tous les bruitages de films d’animations où on avait enlevé le son. Et on ne pouvait pas s’empêcher de penser à nos propres films. Et dans la vie on est ami·e·s depuis longtemps et on avait envie de créer notre propre film. On s’est donc mis ensemble avec l’intention de réaliser un film avec notre propre histoire, nos propres dessins, notre propre storyboard. Et dès le début on avait bien pensé à la musique et au dessin qui seraient en parallèle tout le temps. 

SR : Au départ Grégoire avait envie que ce soit en noir et blanc. Ça a initié des recherches graphiques, pour savoir quelle histoire, quelles réflexions ou quelles thématiques pourraient fonctionner autour de ça. On est d’abord parti de l’effet graphique qui a fait naître l’histoire plutôt que l’inverse.

Vous citez l’œuvre le Vicomte Pourfendu d’Italo Calvino comme inspiration, en quoi ce livre a inspiré le spectacle ?

SR : On aimerait bien partir uniquement sur des dessins ou des peintures abstraites mais avec un spectacle de 45mn, il faut raconter une histoire et il faut du beau et du sens. C’est alors en pensant au noir, au blanc, au bien, au mal que j’ai repensé à ce livre. Je l’ai relu, et j’ai trouvé que c’était une super inspiration. Et même une inspiration graphique. Au-delà du noir et blanc, il y a le fait que le personnage soit découpé, avec le papier coupé ça pouvait bien marcher. 

La question des contrastes semble être au cœur de l’œuvre. Qu’est-ce qui vous a tant plu là-dedans ? 

GT : La part d’ombre et de lumière en chacun de nous. C’est quelque chose qui nous parle, je pense, à toutes et à tous. C’est marrant d’ailleurs que tu dises le mot contraste parce que moi ça fait 20 ans que c’est mon obsession. J’avais fait en 2014 un album solo qui s’appelait Syrinx et son sous-titre c’était « Contrast ». Ce truc d’ombres et de lumières ça m’a toujours passionné et en en parlant aux autres, on s’est tous·tes dit que c’était universel. Ce n’est pas une thématique qui est non plus trop abordée.

FK : Puis le contraste est tellement vaste comme sujet, que c’était suffisant comme point de départ quand on ne savait pas encore trop vers où on allait. Ça laisse une grande liberté pour la musique, le plastique, l’histoire. On s’est accroché·e à ça et on est parti de là. 

CG : Ça donne un cadre mais qui te permet d’aller suffisamment loin. 

SR : Ça permet à l’image de faire des choses à la fois abstraites et figuratives et de les lier, car elles ont ce point commun.

GT : Et en musique c’est limite peut-être encore plus un défi, de représenter cette idée de contraste sans une image. 

D’où le fait que la musique soit jouée live ?

FK : Oui complètement, c’est le but même du spectacle. Et surtout, je suis musicienne live, et ça ne m’ait jamais arrivée de créer une musique que je ne performerai pas en live ou que je ne jouerai pas moi.

Vous pouvez décrire un peu les ambiances musicales, les instruments utilisés ?

FK : On passe par plein d’émotions qui sont en partie au service de l’image. Pour appuyer l’émotion que les dessinatrices font passer sur scène, mais pas que. On a aussi des moments où on peut vraiment parler de concert avec des moments focus sur les musiciens. Là on se détache et on est dans une performance concert. On est entre le rock, le jazz…

GT : Je dirai qu’il y a un côté musique de film car c’est un code en soi, quand on accompagne les dessins en musique, avec les harmonies. Et quand on est plus que tous les deux, on est plus proche d’un concert en scènes de musiques actuelles avec du jazz, de l’électro.

CG : Il y a aussi les instruments fabriqués qui amènent une tout autre dimension.

FK : Oui ! Mais autant dans mes autres spectacles c’était une sorte de point de départ, dans celui-ci je l’ai pour l’instant un peu moins mis en avant. J’ai envie de ramener des objets sonores mais là j’en ai 3, je ne sais pas encore quelle forme ou quelle importance ils prendront. Ça sera la surprise.

Est-ce que vous pouvez parler des différentes techniques plastiques et graphiques utilisées pendant le spectacle ?

CG : Alors il y a deux choses. La première partie du spectacle va plus être artisanale, avec du dessin pur, de l’encre, du papier froissé, des craies, des outils. L’autre partie est plus technique. Pendant tout le spectacle on filme nos mains qui dessinent et on projette aussi, sur le support filmé, des images qui sont dessinées à l’iPad. Ce qui donne une double dimension qui est assez rare dans les spectacles. 

SR : Ça donne un côté traditionnel et numérique à l’ensemble. La plupart du temps dans les spectacles en direct, soit les gens dessinent à la main soient ils dessinent à la tablette. Mais là on mélange les deux. 

CG : Ça permet énormément de choses. C’est une source d’inspiration et d’expérimentation infinie. C’est piégeur et génial à la fois. Cette contrainte du noir et blanc ça nous a permis d’essayer plein de choses où il a fallu faire des choix. 

SR : Dans Minuit il y a des passages dessinés, mais c’est moins du dessin que vraiment une performance plastique, d’arts appliqués. Il y a de la manipulation d’objets qu’on a fabriqué, des astuces, des effets de matières, de lumières. Les moments où on dessine pendant le spectacle, existent, mais à côté de tout ce que représente la manipulation, la gestion des lumières, c’est une moindre partie en réalité. 

Avant de commencer la résidence, à quel stade était le spectacle selon vous, et comment celui-ci a‑t-il évolué ? 

CG : Je dirai qu’on est toutes et tous arrivé·e·s avec la tête pleine d’idées en tout genre. On avait plein de scènes, de déroulés. Il y a aussi le fait qu’on n’a pas toutes et tous les mêmes contraintes si l’on est musi​cien​.ne ou illustratrice. Nous on est dans la contrainte plastique, si jamais on doit recommencer, on doit reprendre une feuille car on ne peut pas effacer. On a eu la présence de Fabio Godinho pour avoir un regard extérieur aussi et ça nous a beaucoup aidé pour nous donner les outils pour communiquer, répéter et créer tous·tes ensemble. On a trouvé un langage et des timings qui nous correspondent et qui nous permettent de nous comprendre sur le moment. Et là il y a une vraie différence avec le début de résidence car maintenant on est capable de communiquer vraiment une émotion partagée.

GT : Puis là c’est plus une création à 4 alors qu’au début on était peut-être un peu chacun de son côté. 

FK : Oui et chaque domaine, que ce soit musique ou dessin, a ses spécificités qui lui sont propres pour créer ou se concentrer. On s’était mis d’accord sur les scènes à faire, mais chacun avait un peu préparé de son côté et maintenant on crée ensemble. Et dans la dynamique ça change beaucoup. Cette résidence arrive assez tôt dans la création, on avait eu 5 jours seulement avant pour commencer à créer et préparer le spectacle. Tout était encore assez frais et là on est toutes et tous content de cette résidence car ça nous a permis d’acter notre contenu, qui était encore flou, et surtout d’avoir des regards extérieurs. D’avoir des idées et de voir comment elles vont être perçues par exemple. Car à la base on n’est pas des gens qui écrivent des storyboards, ou on ne raconte pas d’histoires, ce n’est pas notre métier. 

SR : Comme évolution par rapport à cette résidence, moi je dirai qu’il y a vraiment deux points sur lesquels on a beaucoup évolué : déjà sur ce que l’on raconte avec le contenu et comment on le fait. Et il y a aussi comment nous on en parle entre nous. En 10 jours on est beaucoup plus capable de se mettre autour d’une table et d’en parler.

GT : Pour revenir au contenu, c’est assez compliqué à mettre en forme les émotions, c’est assez flou, même assez personnel. 

CG : Il y a beaucoup de contraintes, vu que l’on n’a pas de textes, ni de paroles, il faut qu’on réussisse à communiquer avec la musique et le visuel.

FK : Et ce que je ne trouve pas facile, c’est qu’on a plus d’idées que pas assez et qu’on est tous·tes assez créatif·ve·s et qu’on a mille idées à la seconde. La difficulté, c’est de ne pas se marcher dessus, laisser les autres s’exprimer, mais pendant que tu parles avec un, les autres ont déjà dix nouvelles idées à la seconde. C’était compliqué de canaliser nos idées, trancher, choisir, expérimenter et finaliser. 

Est-ce qu’à un moment le spectacle a changé, a pris une direction vers laquelle vous n’auriez pas pensé ?

SR : Alors déjà plastiquement c’est sûr. On a fait des essais au départ où on testait plein de choses pour voir ce qui marchait. C’est très différent de ce qu’on avait proposé au début. Il a fallu expérimenter énormément. 

FK : Et je pense que particulièrement dans le dessin et le travail plastique, il y a bcp d’idées qui se trouvent par accident et où l’on se dit d’un coup « ah tiens ça c’est intéressant ». 

CG : Oui c’est même essentiel et c’est ça qui était difficile aussi au début de la résidence. Vous, vous aviez écrit déjà plein de choses de votre côté, nous on avait bossé en atelier et chacun est arrivé·e avec des idées dans ses valises. Il a fallu choisir ce qui marchait le mieux et c’était très enrichissant. 

SR : Le spectacle est composé de plein d’accidents. On faisait quelque chose, on regardait l’écran, on tournait la feuille dans un autre sens, on appuyait sur le mauvais bouton, il y a un truc qui a fait une tâche, mais en fait c’est super beau, et se posait ensuite la question « est-ce qu’on peut le refaire et l’intégrer » ?

Avec cet aspect improvisation, est-ce que le spectacle peut être amené à changer au fil des représentations et du temps ?

FK : En fait à la base du cahier des charges quand on parlait du noir et blanc, et des contrastes, on voulait qu’il y ait de l’impro car on aime tous·tes ça. Et en plus quand on joue un spectacle beaucoup de fois, c’est super important pour nous, dans l’émotion, pour ne pas se lasser. Il y a des choses très calées mais aussi des belles plages d’improvisation.

GT : La forme va rester la même, c’est très précis, on a plein de points de rendez-vous. Et même au niveau de la narration il faut qu’on garde ce rythme qu’on a trouvé jusque-là. 

FK : Ce qui ne veut pas dire qu’on ne pourra pas raccourcir une scène, ou l’allonger si on le sent, mais ça sera à affiner.

SR : Par exemple quand il faut qu’on dessine une ville, on sait que l’on a tant de temps pour le faire. Ce temps donné ne changera pas mais la façon de faire oui. On aura d’autres idées, une meilleure dextérité, c’est organique, il faut que ça bouge.

CG : Et on dessine beaucoup avec des outils pas habituels. Notamment il y a une scène où on dessine une ville sur une plaque en verre avec une aiguille à tricoter très longue. Et ça change la façon de faire. 

SR : Et on n’est pas des spécialistes de l’aiguille à tricoter, donc il nous faut un peu de temps (rires).

À quoi peut s’attendre le public de Minuit en termes d’émotions pendant le spectacle ?

FK : Je pense qu’il traverse beaucoup d’émotions, de toutes sortes. Il y a de fortes chances qu’il se projette bien dans ce sujet. Il y a de la tristesse, de la colère, de la joie, de la gaité. Mais on ne peut pas se projeter pour les gens aussi. 

GT : Et même entre nous ça peut être différent. Par exemple quand tu posais la question, moi je pensais au terme de « saudade » en portugais. Mais je ne crois pas qu’il y ait un équivalent en français. 

CG : Une sorte de nostalgie?

FK : De tristesse aussi?

GT : Oui mais pour moi c’est aussi joyeux, beau… La beauté dans la tristesse. Mais il n’y a pas que ça. 

CG : C’est ça qui est chouette aussi, on sera sûrement surpris·es des retours des gens. Hier on a fait un filage avec l’équipe des Rotondes et on a eu un retour de quelqu’un qui ne connaissait pas le pitch. Elle a donc exprimé son ressenti avec ses propres mots et c’était très important pour nous. 

FK : Et je pense que chacun ressentira des choses selon son vécu. C’est ça que permet Minuit, vu que les gens ont tous un bagage et un passé. Les émotions qu’ils vont ressentir vont beaucoup à avoir avec ça. On va tendre la main à plein d’émotions possibles et les gens vont attraper ça au vol. 

S R: En tout cas on l’a construit comme ça. Quand on faisait chaque plan, on se posait la question de ce que l’on ressentait face à cette image avec cette musique. Et quand on ne ressentait rien, on ne la gardait pas. Et à l’inverse parfois lors d’accident, il se passait quelque chose et donc on la gardait. La boussole de la construction du spectacle ça a vraiment été ce qu’on ressent. Et je pense que lorsque c’est construit comme ça, c’est qu’on arrive à transmettre ça au public.

CG : Je voudrais dire une dernière chose. On a eu la présence de Fabio Godinho pour la mise en scène mais on a aussi un super technicien (Léo Thiebaut, ingénieur son des Rotondes) qui nous donne un super regard extérieur sur le spectacle. En plus d’être technicien lumière et son, il fait vraiment partie de la création, il nous donne plein de conseils, il a plein d’idées créatives et il règle beaucoup de nos problèmes techniques. 

FK : Pour revenir sur la résidence, elle permet d’avoir un cadre agréable. On est bien installés, on a une personne comme Léo qui est là tout le temps et en même temps que nous. C’est le premier à se plonger dans l’histoire avec nous, on lui a dit dès le début que ses idées sont les bienvenues, même ses critiques. On a un super échange avec lui et on crée vraiment ensemble.